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LE BLOG D'AS MALICK NDIAYE

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Affaire Nafissatou

 

L’affaire Nafissatou Diallo/DSK est une nouvelle illustration du rôle des média et des réseaux de communication dans la fabrique de l’opinion. Le déferlement médiatique prévisible dans ce genre d’affaires est accentué ici par l’absence de traçabilité réelle de l’incident qui a eu lieu dans la chambre 2806 du Sofitel le 14 mai. Alors, la rumeur remplace ce que l’on ne sait de pas manière formelle. Une seule chose est sûre: une femme, travailleuse immigrée accuse l’un des hommes les plus puissants du monde (du moins symboliquement) de l’avoir violée et ce dernier nie cette accusation. Comment les faits se sont déroulés exactement ? Quelle est la véritable victime dans cette affaire ? S’évertuer à trouver des réponses à ces questions n’a aucun sens du moment que les parties s’enferment dans un mutisme calculé concernant l’essentiel. Rien d’ailleurs ne garantit que le procès fera éclater la vérité, puisqu’il s’agira d’évaluer la parole d’une personne contre celle d’une autre. Voilà aujourd’hui l’enjeu de la bataille médiatique entre DSK et sa victime présumée par avocats interposés. Comment décrédibiliser l’adversaire ? Comment faire admettre aux gens (et donc au jurés potentiels) que l’autre ment avant même qu’il/elle ait donné sa version ? Comment faire en sorte que ne soient pas évalués les faits eux-mêmes, mais plutôt les individus impliqués auxquels on prêtera caution selon leur degré de crédibilité. Tels sont les dérives que permet un système judiciaire perverti par l’argent et le libéralisme où tous les coups sont permis.

 

Les Lions de la Téranga repartent (dans le mur ?)

Quelle beauté...
Quelle beauté... 

Le Sénégal et ses champions virtuels

Il y a deux ans, j’étais à ce que l’on peut considérer comme le match de la rédemption entre le Sénégal et la République Démocratique du Congo que les Lions avaient remporté 2-1. Je me souviens que ce jour-là, à Blois, nous étions une poignée de spectateurs sénégalais et nous avions vu une équipe solide, talentueuse, compacte et surtout très disciplinée. Nous avions aussi vu des joueurs accessibles, humbles, respectueux de leurs supporters. Il n’y a pas eu de maillots lancés à une foule en délire, ni d’autographes signés le casque bien vissé dans les oreilles et le mp3 à fond les ballons. Non, c’était un moment très convivial où les joueurs contents de se voir soutenus, parlaient des bonnes résolutions en cours dans la tanière. Ce jour-là, à Blois, j’avais aimé retrouver mon équipe nationale loin du bling-bling de la génération 2002 qui nous a valu tant de fierté, mais qui le succès venant, s’était fourvoyée dans des chemins de travers. Cette équipe de 2002 qui a emmené notre football à des sommets inespérés restera finalement dans l’histoire comme celle…qui n’aura rien gagné. Le constat est un peu trivial, j’en conviens. C’est déjà énorme de nous avoir qualifié pour la première fois à une coupe du monde. Mais je suis l’un des fous (pas si rares que cela) à penser que l’obstacle turc aurait pu, aurait dû être passé. Et qui sait ce qui serait advenu ? Mais le plus triste, c’est cette coupe d’Afrique que nous avons perdu d’un rien face au Cameroun. Je me souviens avoir discuté avant la Can 2002 avec un des Lions qui évoluait à l’époque à Rennes. Je lui avait demandé s’il n’avait pas peur qu’une génération aussi talentueuse ne gagne finalement rien en termes de palmarès. Il m’avait alors répondu que la peur n’existait pas dans leur vocabulaire et qu’ils allaient réaliser des choses que personne n’avait réalisées. Il avait peut-être raison, mais à l’arrivée, en regardant le palmarès de cette génération, que ce soit en sélection ou en club, on retrouve « une coupe de la ligue française, une coupe de la ligue anglaise, un titre de champion de France » et c’est à peu près tout. Pour toute cette génération. Le seul Samuel Eto’o a gagné plus de trophées que l’ensemble de l’équipe du Sénégal réunie. Cela est assez édifiant.

Il faut identifier les erreurs qui avaient commises avec la génération 2002 et les éviter. Qu’est-ce qui nous a été fatal ? D’abord, la façon dont les hyènes s’étaient jetés sur le gâteau « Lions de la Téranga » dès la qualification au Mondial.  Elles avaient continué de plus belle après la coupe du monde. L’argent qui devait servir à structurer notre football avait été dilapidé, les joueurs qui devaient être encadrés et mobilisés pour d’autres échéances avaient été starisés et avaient presque tous attrapé le melon, oubliant le degré d’exigence du football de haut niveau. On connaît la suite. Ils resteront un beau souvenir pour les sportifs du monde entier, mais ils n’auront aucun trophée à montrer à leurs arrière-petits-enfants. Ensuite, le complexe du « plafond de verre », cette propension du Sénégalais à se prendre pour le roi du monde dès l’instant qu’il a réalisé une performance notoire. Chose qui attenue son degré d’exigence et sa volonté de tendre vers l’excellence. Bu fi yémoon sax mu néex !

Bis repetita

Malheureusement, l’histoire risque de se répéter. L’équipe de football du Sénégal a retrouvé des couleurs et déjà les marchands du temple reviennent. Cela a commencé avec un président qui n’a pas parlé football depuis je-ne-sais-quand et qui comme à son habitude veut profiter de l’embellie de notre football pour (re)lier son destin à celui du « Sénégal qui gagne ». Les sponsors aussi (re)commencent à affluer. Les généreux donateurs vont (re)commencer à agiter des millions qui iront je ne sais où, la fédération va encore vendre son âme et l’équipe va être entrainée dans des futilités mondaines, au lieu de se concentrer sur ses objectifs. Les journalistes vont commencer à se muer en laudateurs, espérant un maillot par-ci, un vingt euros par-là, oubliant ainsi de rappeler aux joueurs leurs devoirs de performance, la cohorte d’admirateurs et d’admiratrices va grossir, les nouveaux sites Internet et les pages de réseaux sociaux consacrés aux Lions vont encore fleurir. Tout cela risque de mener l’équipe à sa perte. Mais face à ces dangers, les joueurs eux-mêmes détiennent la clé.

Qu’ils ne perdent pas les valeurs d’humilité et de respect du maillot que j’avais entr’aperçues à Blois. Qu’ils sachent qu’ils ne font que passer et que l’équipe nationale reste. Jouer pour son pays, ce n’est pas se comporter en voyou, refuser la critique, « marabouter » ses coéquipiers, écumer les boîtes de nuit de Dakar et j’en passe. On vient donner un peu de plaisir à des gens qui n’ont pas beaucoup d’occasion d’en avoir au quotidien. On ne doit pas se permettre dans la tanière ce qu’on ne se permet pas en club ou ce qu’on ne se permettrait pas si on jouait pour l’équipe de France, par exemple. Vos entraineurs, votre staff peuvent gagner moins d’argent que vous, mais ce sont des représentants de la nation, pas vos employés. Respectez-les. On peut acheter des journalistes, un staff, on peut impressionner des individus avec des voitures et des gadgets de luxe, on n’achète pas la conscience d’un peuple, on n’impressionne pas l’histoire. La seule manière que vous aurez de rester positivement dans l’histoire, ce sont vos performances sur le terrain et l’image que vous donnez en dehors. Ayez de l’humilité mais aussi de l’ambition. On ne retient pas les seconds. Qui se souvient de Buzz Aldrin et Michael Colins? Peu de gens, comparés à ceux pour qui le nom de Neil Armstrong évoque à jamais le premier pas de l’homme sur la lune. L’équipe du Sénégal ne vous permettra pas directement d’enrichir votre compte en banque, mais elle peut vous permettre d’entrer dans les livres d’histoire si vous vous en montrez dignes.

Je connais quelques-uns d’entre vous qui composez l’ossature actuelle de l’équipe nationale du Sénégal et ce sont des garçons aux qualités humaines avérées. Mais je disais exactement la même chose d’un certain El Hadji Ousseynou Diouf pour l’avoir connu avant la Coupe du monde et revu après. J’espère que je ne dirais pas dans quatre ans, comme j’ai pu le faire avec El Hadji et certains de ses copains, « Putain ! ils ont changé ». Parce que malheureusement, cela voudrait aussi dire: « Putain ! ils n’ont rien gagné eux non plus ».


 

CÔTE D’IVOIRE : LES RATÉS DU NATIONALISME AFRICAIN

 

Il N’Y AURA PAS DE GAGNANT EN CÔTE D’IVOIRE

C’est une histoire africaine, avec trois protagonistes qui, quoi qu’il arrive, n’auront réussi qu’à se donner en spectacle dans un Grand-Guignol dont même le regretté Henri Duparc n’aurait imaginé le scénario. D’ abord, un usurpateur qui, à force de s’entendre dire qu’il est un fin stratège politique, a fini par le croire et a réussi à plonger son pays dans ce no win situation comme disent les anglo-saxons. Ensuite, un groupe de personnes autoproclamées patriotes. Des gens admirables peut-être dans leur amour de la patrie, mais qui comme beaucoup sous nos latitudes, transforment le combat contre l’impérialisme et pour le développement de l’Afrique, en vitupérations irresponsables et dangereuses contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à un étranger. C’est enfin l’histoire d’un homme politique dont la mésaventure illustre l’hypocrisie de l’Afrique contemporaine, prompte à brandir l’étendard de la fraternité raciale et continentale et qui se montre incapable de dépasser son dogmatisme identitaire, qu’il s’agisse de  l’ethnique, du religieux ou du national.

Force est de constater aujourd’hui que Gbagbo a perdu le pouvoir. Un pays comme la Côte d’Ivoire ne peut se permettre de s’isoler sur le plan international autant qu’il le serait avec Gbagbo à sa tête.  Pourtant, même si Alassane Ouattara recouvre son droit de diriger son pays, il sera un président contesté, affaibli, par ces 48% d’Ivoiriens (ou 51% c’est selon) qui lui vouent une haine cordiale dépassant les considérations politiques. Des gens dont on peut supposer qu’ils auraient accepté le verdict des urnes, si dès le départ, les autorités de l’État, Laurent Gbagbo en tête, avaient fait preuve d’intelligence et de responsabilité. Car ces 48% d’Ivoiriens aujourd’hui chauffés à blanc sur le terrain du nationalisme n’accepteront jamais que Ouattara remplace Gbagbo. Par ignorance ou par mauvaise foi, la plupart des pro-Gbagbo considéreraient un Alassane Ouattara président aussi illégitime que l’est son adversaire aux yeux de la communauté internationale. Et cela, c’est le tour de force de Laurent Gbagbo qui, en fin connaisseur de la psychologie de masse des Africains, a réussi à pourrir une situation en misant, d’une part sur un sentiment anticolonialiste toujours vivace et d’autre part un phénomène de repli identitaire que les sociétés les plus xénophobes d’Europe ne renieraient pas. En jouant la montre et en laissant se détériorer une situation mal engagée dès le départ, Gbagbo a réussi à semer le doute et à accréditer la légende d’une atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire, pour asseoir sa légitimité. Or, cette souveraineté, aussi respectable soit-elle, ne doit pas faire oublier le devoir de chaque Africain d’être modeste face à un destin national qui lui a plus été imposé qu’il n’a été choisi. Mais surtout de réfléchir sur le sens de la cohabitation pacifique qui autrefois caractérisait les sociétés africaines. Les Ivoiriens avaient l’opportunité de démontrer qu’ils pouvaient dépasser les clivages ethniques et nationalistes qui sont d’un autre temps. Occasion ratée. À l’arrivée, il n’y aura aucun gagnant et c’est encore une désillusion de plus pour tout le continent.

ENTRE MANIPULATIONS ET CONTRADICTIONS

Un seul homme aujourd’hui est responsable de cette situation. Il aurait pu en cédant le pouvoir à une coalition RPR-PDCI, permettre un nouveau départ pour son pays. Cela aurait été un moyen plus ou moins efficace de recoller les morceaux d’un pays morcelé par l’ineptie que constitue la rébellion nordiste. Au lieu de cela, ne s’occupant que de ses intérêts et de ceux de son camp, il a soufflé sur les braises d’une tension ethnique latente qui aujourd’hui risque de faire imploser la Côte d’Ivoire.

La première carte de Gbagbo, et la plus importante à ses yeux, est donc cette théorie du candidat de l’étranger, qui réveille les vieux démons ivoiriens. Le concept d’ivoirité, dont on ne connaît que trop bien la douloureuse conséquence pour le peuple de Côte d’Ivoire, est le principal nœud du problème que nous vivons aujourd’hui. Les partisans de Gbagbo ne s’appellent pas « Patriotes » par hasard. Les soldats qui protègent aujourd’hui le président sortant, sont convaincus de défendre la souveraineté nationale. Lorsqu’un militaire ivoirien appuie sur la gâchette de son arme pour descendre un partisan de Ouattara, n’a-t-il pas le sentiment, la conscience aiguë, qu’il « descend un macaque d’étranger » ? Oui, il se murmure à Abidjan que tous ceux qui soutiennent Ouattara sont soit des Judas, soit des étrangers comme lui qui n’ont aucun droit au chapitre. Au jeu des comparaisons, c’est comme si on déniait à un Français d’origine ivoirienne le droit d’avoir élu Nicolas Sarkozy, lui-même d’origine hongroise. Autre exemple plus près de la Côte d’Ivoire. Les Sénégalais diraient à un Philippe Montero (artiste reconnu sur la scène lusitano-sénégalaise) d’aller se faire voir lui et Barthelemy Diaz, parce qu’il n’est pas envisageable qu’un Cap-Verdien d’origine, né à Dakar, soit élu président du Sénégal. Voyez l’énormité de la chose. Pourtant, Gbagbo a réussi à placer le débat sur ce terrain aujourd’hui.

Ouattara étranger ? Voici une contradiction suprême, que de proclamer la fin de l’influence de la France en Afrique et de légitimer notre idéologie nationaliste sur la base des frontières que cette même France a laissées en Afrique. On est ainsi en droit de se demander si l’Afrique pourra faire face à l’impérialisme tant que les mots unité, respect de l’altérité et fraternité  ne se conjugueront pas à l’échelle du continent.

Ouattara candidat de l’étranger ? On veut bien que la France, les USA, l’ONU, l’UE soient des impérialistes de la pire espèce qui n’ont pas à s’immiscer dans les affaires africaines. Même si dans le même temps les États africains acceptent leurs financements pour l’organisation des élections et endorment leurs populations avec l’aide internationale, incapables qu’ils sont de proposer des solutions à la pauvreté endémique. Mais peut-on considérer l’Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana, pour ne citer qu’eux, d’être à la solde des Français ? Peut-on dire, lorsque l’Union africaine demande à Gbagbo de s’incliner, que c’est vraiment l’Occident qui s’occupent de nos affaires ? Ou mieux encore, peut-on défendre l’idée que tous ces électeurs ivoiriens (83% de participation) qui ont mené Gbagbo au ballotage du second tour, même s’ils n’ont  pas tous reporté leurs votes sur Alassane Ouattara, sont des suppôts de Sarkozy pour avoir exprimé 62% de s suffrages contre Gbagbo au premier tour ? Sont-ce les Français qui ont inscrit le nom de Ouattara sur la liste des candidats? Sont-ce les Américains qui lui ont donné le suffrage de plus 30% d’Ivoiriens ? Sont-ce les Américains et les Français qui font aujourd’hui qu’un Ivoirien du Sud ne peut supporter un Ivoirien du Nord et vice-versa ? Si oui, pauvre Afrique !

Ironie du sort, Henri Konan Bédié qui le premier avait allumé la mèche (quel que fut son but) s’est entendu bien avant les élections avec Ouattara sur une éventuelle alliance au second tour. Si on s’acharne à faire une lecture « ethno-sociologique » de ces élections, elle ne permettrait pas d’accréditer en tout cas la thèse des partisans de Gbagbo, d’une coalition étrangère qui essaierait de placer ADO au pouvoir. En fait de coalition étrangère, il s’agirait à la limite d’une coalition nationale. Une coalition Baoulé-Sénoufo-Malinké, pour schématiser, qui aurait raison des alliances Krou et Lagunaires. La cartographie ethnique ne semble pas expliquer de manière absolue la défaite de Gbagbo. Mais même si elle entrait en ligne de compte, elle ne démontre qu’une chose : le vote ethnique « ivoirien » n’a pas desservi Ouattara le « Burkinabè » (le qualificatif est des partisans de Gbagbo et on rappellera à ce sujet que Gbagbo lui même a toujours entretenu le flou dans cette polémique refusant d’affirmer publiquement que Ouattara est un Ivoirien comme les autres (voir entretien avec Jeune Afrique dec. 2009). 

La seconde carte posée par Gbagbo sur la table de ses revendications, ce sont les irrégularités qui ont conduit à l’annulation par le conseil constitutionnel des résultats provisoires publiés par la CEI. Là aussi que peut-on observer ?

Sur le chapitre des fraudes, les accusations sont réciproques. On peut douter que Ouattara ait plus fraudé que Gbagbo, d’autant qu’à volonté égale, en Afrique, la fraude du gouvernement sortant est toujours plus plausible que la fraude de l’opposition. Il faut considérer le schéma socio-politique qui a conduit Alassane Ouattara à réaliser des scores de 90% dans les régions nord. Rappelons que traditionnellement, ces régions étaient majoritairement acquises au PDCI-RDA, le parti du défunt Houphouët. Le basculement ethnique en faveur de Ouattara est peut-être le résultat de la stigmatisation de cette population musulmane qui se reconnaît à travers Ouattara. Voter pour Ouattara, c’est l’espoir pour tous ces Dioulas, Sénoufo, Bambara ou Mossi, d’être à nouveau acceptés comme des Ivoiriens à part entière.

Les intimidations dont le camp de Gbagbo a parlé, sont les mêmes que celles que les partisans de Ouattara et Bédié disent avoir subi dans les régions majoritairement Kru. Il n’est pas facile de vérifier la validité des arguments des uns et des autres. Mais le premier tour n’a pas été invalidé et il semblerait qu’il s’était déroulé dans des conditions similaires. Mieux, des mesures avaient été prises par les différentes parties pour assurer la sécurité des personnes dans les endroits « sensibles ». Le gouvernement n’a-t-il pas envoyé des milliers de soldats dans les régions nord afin de garantir le bon déroulement du scrutin? A-t-on eu vent de troubles de nature à invalider les résultats ? La réponse est clairement non. En tout cas, pas avant la proclamation des résultats et le jeu des déclarations contre-déclarations qui ont suivi. Pire pour Gbagbo, les préfets des régions nord qui sont jusqu’à preuve du contraire les représentants légaux de l’État ivoirien ont fait des rapports limpides sur le climat électoral. Tous ont reconnu qu’ ils n'ont relevé aucun fait qui a eu perturbé les élections.

Dire que Ouattara ne respecte pas les institutions ivoiriennes et compte sur la communauté internationale pour retrouver le pouvoir est aussi une injustice. A-t-il vraiment tort de contester la décision du Conseil constitutionnel quand on voit comment ce dernier a procédé pour le destituer ? On ne parle même pas de la composition et des intérêts de cet organe mis en place par Laurent Gbagbo lui-même. N’oublions pas qu’en 2000 sous Robert Gueï (qui lui-même a surnommé Gbagbo, à qui il avait ainsi dégagé la voie, le boulanger), Ouattara s’était incliné lorsqu’une parodie de cour constitutionnelle avait invalidé sa candidature sous le prétexte fallacieux qu’il n’avait pas un sang suffisamment ivoirien. Il est gentil le Ouattara, mais à force, il finit par se révolter de toujours se faire rouler dans la même farine par le même boulanger.

 

UNE LEÇON (DE PLUS) POUR L’AFRIQUE

Gbagbo a fini son mandat électoral en 2005. Ce qui veut dire qu’il est depuis cinq ans un président par défaut. Certes, les circonstances l’ont conduit à reporter plusieurs fois les élections présidentielles, mais pendant toute cette période, il n’incarnait pas un pouvoir démocratique. Lui-même avoue n’avoir gouverné que pendant vingt mois. Quoi qu’il puisse dire ou faire aujourd’hui, il donne raison à ceux qui l’ont accusé pendant ces cinq années de s’accrocher au pouvoir. 

La semaine dernière, il y a eu des morts en Côte d’Ivoire. Il en y aura hélas encore. Des morts de plus, des morts de trop. Le Général Dogbo Blé, chef de la garde républicaine, promet de régler son compte à Ouattara et ses partisans. Les rebelles du nord ont repris les armes qu’ils n’ont en réalité jamais déposées. Si Gbagbo quitte le pouvoir maintenant, la tension est telle qu’il n’est pas envisageable de cimenter la nation ivoirienne avant longtemps. Et ni Ouattara, ni son entourage politique ne peuvent en sortir exempts de responsabilités. Guillaume Soro dont la précipitation à rejoindre Ouattara est aussi suspecte que préjudiciable fait preuve d’un cynisme total en envoyant des citoyens mourir sous les balles des militaires, alors qu’il est bien planqué à l’hôtel Ivoire. Les moyens de faire pression sur Gbagbo existent autres qu’un bain de sang.

Il plane dans cette tragicomédie baroque un sombre voile de le-pire-est-à-venir. Sur un continent qui n’en finit pas de s’autoflageller entre les coups d’états, les élections truquées, la corruption, bien peu de choses poussent à l’optimisme. Or, la démocratie et la bonne gestion ne sont pas incompatibles à nos cultures. Il n’y a pas besoin de chercher plus loin que dans le fonctionnement de microsociétés africaines pour concevoir l’idée d’un pouvoir au service de la communauté. À l’échelle institutionnelle, deux exemples bien connus des historiens africanistes laissent supposer que les valeurs de démocratie et de droits de l’homme ne sont pas inconnues des Africains: la fameuse Charte du Mandé et la Charte du Fuuta Toro héritée de Cerno Suleimaan Baal. Mais cet héritage a été dilapidé par les dirigeants africains dont l’attitude face au pouvoir est aux antipodes de ces recommandations. Bien sûr, il y a les exemples du Ghana, du Cap-vert, du Mali qui montrent que la situation n’est pas désespérée. Mais l’absence d’un jeu démocratique crédible ou son recul spectaculaire dans des pays comme le Togo, le Gabon ou le Sénégal sont là pour suggérer que le chemin est encore long. Le pire que j’évoquais tantôt ne se passera pas forcément en Côte d’Ivoire. Ce sera peut-être dans un pays où un vieil homme de 86 ans que l’on dit malade et en bout de course, décide sans peur du ridicule de briguer un mandat que ni la Constitution de son pays, ni le bon sens élémentaire, ne l’autorisent à solliciter. Ce sera peut-être dans cet autre pays où, un hyper-président a remis son pays, clés en main, à un hyper-ministre dont le seul mérite est d’être son fils et où les opposants tout aussi égoïstes les uns que les autres créent les conditions du maintien au pouvoir d’une bande d’incapables et de corrompus.

Le ras-le-bol africain vis-à-vis de la politique occidentale est justifié. Il serait naïf de penser que la mobilisation de la France, des pays riches, et de l’ONU dans une moindre mesure, est seulement motivée par le souci du bien-être des Africains. Tous ces États avancés continuent d’asphyxier le continent en orientant les termes de l’échange en leur faveur, en vidant l’Afrique de son potentiel naturel, en pillant de manière éhontée ses richesses. Mais ne nous trompons pas au moment d’identifier les racines du mal. Cela est rendu possible par un mal bien africain : son élite politique. Que ce soit à l’intérieur des nations ou à l’échelle du continent, la poursuite de l’intérêt matériel, le manque de vision, de courage politique, d’unité expliquent, sinon davantage du moins autant, les problème de l’Afrique que l’impérialisme. Chacun le sait, mais il est plus facile d’accuser l’Occident et de fuir nos responsabilités. Deux autres problèmes et non des moindres, accentuent les difficultés africaines, ce sont le manque d’unité et l’immobilisme de nos populations. À cet égard, la douloureuse expérience de la colonisation ne nous a strictement servi à rien. Les communautés africaines continuent à cultiver entre elles une condescendance et une haine qui éclatent au moindre prétexte. Où ailleurs est-on aussi prompt à sortir les armes pour régler un contentieux ? À titre de comparaison, la Belgique traverse depuis six mois une crise institutionnelle. Bilan : zéro mort.  S’y ajoute une sorte de fatum mahométanum leibniztien qui fait que tout ce qui arrive sous le soleil d’Afrique est progressivement accepté comme ce qui devait être. Les théoriciens de la communication politique parlent « la logique de Port-Royal » pour illustrer l’emprise du pouvoir institutionnalisé sur les masses, jusque dans la représentation que ces dernières s’en font. Un phénomène que presque partout l’on essaye de juguler, du moins en apparence. Malheureusement, concernant l’Afrique, les élites sont incapables d’inverser le phénomène de la symbolique du pouvoir. Tous jouent sur une illusion de surpuissance que leur confère l’inertie des masses. Il est temps pour tous ces hommes politiques de faire leur autocritique et d’amorcer le redressement d’un continent qui a déjà trop souffert. En nous débarrassant du pire ennemi de l’Africain moderne : l’égoïsme. L’avenir du continent en dépend et cela passe forcément par eux.

 

COMMENT PHILOSOPHER EN ISLAM ? De Souleymane Bachir Diagne

 

Dis : "Sont-ils égaux ceux qui savent et les ignorants ?

 

 

Les hommes doués d'intelligence sont les seuls qui réfléchissent. "

 

 

(Sourate 39 - Az-Zumar - Verset 9

 

 

 

 

 

Abou Houreira - qu'Allah l'agrée –

 

 

rapporte du Messager d'Allah ces propos :
«Cent degrés séparent la position du savant de celle du dévot

 

 

. Entre chaque degré, il y a la distance que couvre

 

 

un cheval au galop au cours de soixante-dix années. »

 

 

Hadith Rapporté par Tirmidhi et Abou Daoud

 

 

 

 

 

 De ce livre important, on dira que deux types de lecteurs n’en saisiront pas la pertinence : le paresseux et l’hermétique forcené. En effet, Comment philosopher en Islam ? est un texte bref mais dense et intelligent. Cela veut dire que sa lecture suppose une réflexion sur le sens pour s’épargner toute interprétation erronée, surtout pour ceux qui seraient tentés de limiter cette interprétation au titre. De la même manière, l’arrogance qui estimerait que l’Islam n’autorise pas la spéculation intellectuelle (un non sens hélas répandu) ferait manquer une véritable occasion de saisir le caractère profus de la production intellectuelle en terre d’islam. Par une salutaire ironie, la paresse et l’orgueil sont deux défauts abhorrés par la religion musulmane. Donc, lire et réfléchir sur un livre qui associe dans le même appareil sémantique Islam et philosophie est licite. Il s’agit là d’une évidence que des penseurs comme Averroès ont posé il y a plusieurs siècles et que Bachir Diagne réactualise fort à propos. « L’évidence du fait n’excuse pas qu’on la néglige », disait Lacan[1] lui-même. Pourquoi une telle mise au point? Parce que simplement l’idée que le raisonnement rationnel, philosophique est incompatible avec la religion islamique est un des freins à la connaissance de l’islam. Bachir Diagne démontre justement que, ce n’est pas dans la tradition islamique que l’on irait chercher l’argument de l’invalidité de la philosophie. D’abord, en expliquant pourquoi le Coran laisse ouverte la possibilité d’exercer de la raison, ensuite en proposant une véritable histoire des idées dans le monde musulman qui restitue la profondeur de philosophes de grande valeur depuis le Moyen Age.

Le premier enseignement que nous propose Souleymane Bachir Diagne, c’est que l’Islam a, dès son avènement, été un champ propice à l’interprétatif. Il est dit dans le coran, que Dieu invite le musulman à raisonner pour trouver les moyens d’affermir sa foi. La sourate que Bachir Diagne rapporte dans son livre (p.107) « Ne considèrent-ils donc pas les chameaux comment ils ont été créés, et le ciel comment il est élevé, et les montagnes comment elles sont dressées, et la terre comment elle est nivelée » (Sourate 88/ Al Gasiyah, verset 17-20), est une invitation à réfléchir sur la création et l’Auteur de cette création. Ce que rappelle le fameux syllogisme « averoïste » ainsi posé: méditer sur ce qui est conduit à la connaissance de l’Auteur de toute chose. La connaissance de l’Auteur de toutes choses est une obligation. Par conséquent, méditer est une obligation. Donc, selon Averroès, philosopher est une…obligation légale, nous dit Diagne.

On apprend aussi dans ce livre comment la question du sens se pose très tôt en Islam. La succession du Prophète Muhammad (PSL), par exemple, suscite des oppositions aux enjeux aussi bien politiques que théologiques. En ce sens que, le Législateur ne tranchant pas la question « Qui doit gouverner les croyants ? »,  il a fallu spéculer pour légitimer à défaut de légiférer. Ce qui naturellement va créer le premier schisme important dans l’histoire de la religion. En plus de ce type de questions, d’autres comme le prédéterminisme, le libre-arbitre, la relation des attributs à l’essence divine, le Coran créé ou incréé, sont des sujets dans lesquels les penseurs musulmans se prononcent de manière contradictoire. Les courants de pensée s’affrontent alors dans un champ que les spécialistes appellent le kalâm, que l’on peut considérer comme une manière « d’entendre la Parole » (ilm al kalam). Cette discipline « à la lisière » des sciences de la religion connues comme le tafsir (exégèse) ou le fiqh (jurisprudence) est le cadre théologique où s’affrontent plusieurs écoles et Diagne donne un clair aperçu de la manière dont ces affrontements constituent un terreau favorable à l’émergence d’une philosophie moderne. Donc, au sein même de l’espace d’interprétation du texte religieux, la possibilité de débattre sur les postures de rationalité existe. Un débat qui semble être placé ailleurs que dans un clivage philosophie/religion puisque théologique. La théologie n’est rien d’autre qu’une activité spéculative en ce sens, et qui précède l’émergence de la philosophie au sens où nous l’entendons dans l’espace d’érudition islamique.

La rencontre entre cette philosophie d’inspiration grecque et la pensée islamique ne se produit donc pas ex nihilo. Il y a  un contexte qui permet cette fécondation mutuelle. Historiquement, on peut situer cette rencontre décisive aux VIIIème- IXème siècle de l’ère chrétienne avec l’affrontement de deux écoles, les mutazilites et les acharites. Le mutazilisme est important parce que c’est par ce courant rationaliste que la philosophie d’inspiration grecque (falsafa) fait son apparition « officielle » dans le champ islamique. Grâce notamment au Calife Abasside Al Ma’mun, qui tente d’imposer par le sabre et par l’esprit, la « vérité » rationnelle du coran créé. Même s’il échoue dans son entreprise, Al Ma’mun permet l’émergence et le développement à Bagdad de la falsafa et contribue à amorcer l’application des notions conceptuelles grecque à un corps de pensée déjà établi. Diagne rapporte d’ailleurs la savoureuse rencontre en songe du Calife Al Ma’mun avec Aristote qui lui confirme l’universalité de la raison. Si cette rencontre a la vérité du mythe, elle souligne l’importance de l’aristotélisme, voire du néoplatonisme, dans l’univers philosophique musulman à partir de cet instant.

Dans le prolongement des affrontements entre mutazilites et acharites, ce qui fait sens, c’est encore une fois, la place que doit occuper la raison, la capacité de spéculer, dans le rapport au texte coranique. Diagne analyse et éclaire les pensées de figures incontournables comme Avicenne, Al Fârâbî, Ghazali ou Averroès. Le lecteur comprend comment la question philosophique, à travers les querelles les plus marquantes, opposant par exemple, Avicenne à Ghazali ou Averroès au même Ghazali, à quelques siècles d’intervalle, a divisé les érudits musulmans dans une perspective philosophique. Et l’on comprend aussi que les divergences entre réformateurs et tenants de l’orthodoxie dans l’Islam moderne ne sont que la perpétuation des phénomènes de discontinuités dans la continuité du discours islamique.

Entre autres sujets, Bachir Diagne reproduit avec une rigueur scientifique les termes du débat continu à propos de l’ascension du prophète de l’Islam vers le lotus de limite. Il donne au lecteur les clefs pour comprendre comment la lévitation, perçue comme matérielle par certains et intérieure par d’autres, est un problème philosophique central chez les penseurs musulmans. Même Ghazali que l’orthodoxie sunnite appelle « la preuve de l’islam » (hujjat ul islam), lorsqu’il s’emploie avec sa lecture du miraj à condamner les ratiocinations philosophiques, fait œuvre de philosophie. Si l’on considère, le seul récit du miraj, le « philosophe » natif de Tûs (dans l’actuel Iran) analyse le phénomène comme l’élément qui mène de lumière en lumière jusqu‘à la seule vraie lumière, celle de Dieu. L’ascension atteint son point ultime lorsque que la pluralité s’évanouit et donc la séparation du créé d’avec ce qui fait l’être. En d’autres termes, il existe une limite à la projection, à l’élévation imaginative (dans le sens humien), et cette limite n’est dépassable que par « l’esprit saint prophétique ». En des termes encore plus accessibles, la problématique de l’ascension échappe dans sa profondeur à notre esprit et il y a une certitude derrière laquelle il n’y a plus à chercher. La conclusion est qu’on ne peut pas expliquer ce qui dépasse la perception. On ne décrit pas la couleur à un aveugle de naissance ou encore selon l’auteur de Lettre au disciple, le plaisir sexuel à un impuissant. Ghazali s’est évertué à attaquer la philosophie dans d’autres textes, mais ce qu’il est obligé de convenir, c’est qu’il le fait à l’intérieur même de l’objet de la philosophie : le raisonnement. Et Diagne ne manque pas de pointer un aspect important de la pensée ghazalienne, c’est qu’elle ébranle dans leur confort aussi bien ses contemporains philosophes que les élites mystiques qui tout en rejetant la philosophie tombent parfois eux-aussi dans le fantasme d’une essence supérieure. Selon Diagne, la préoccupation de Ghazali c’est de garder la communauté dans son ensemble accordée sur des doctrines et thèses qui ne comporteraient rien qui fût susceptible de déstabiliser la manière de croire du plus grand nombre. Les thèses de Ghazali sont à mettre en parallèle avec celles d’Averroès pour comprendre, comment par la logique, le littéralisme était une posture intenable en Islam. On connait la réponse cinglante qu’Averroès apporte au fameux Tahafut al-Falasifa (incohérence des philosophes) de Ghazali en écrivant lui-même son Tahafut al-Tahafut (incohérence de l'incohérence). Mais c’est dans le Kitab fasl al-maqal (Le traité décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie), qu’il répond aux attaques contre la philosophie au nom de la religion. Il n’est pas étonnant que la figure d’Averroès que l’égyptien Youssef Chahine a magnifiquement ressuscité dans son film Le destin (1997), soit aujourd’hui le symbole de ceux-là qui prônent un islam ouvert et cultivé.

Après s’être employé à restituer judicieusement toute la place du questionnement philosophique dans l’univers musulman, Bachir Diagne oriente son lecteur vers le véritable enjeu de son livre. On voit par la lecture des idées qui s’y déploient, qu’il ne s’agit même plus de dire s’il existe une philosophie islamique. Encore moins de dire si la religion islamique permet de philosopher. Pas plus qu’il n’existe une philosophie essentiellement grecque, indoue ou africaine, il ne saurait y avoir une philosophie islamique comme système, même si la discipline elle-même existe et est enseignée. Même si, aussi, bien entendu, la philosophie se conçoit dans des espaces empiriques avec des objets de représentations observables dans des civilisations et que la falsafa (philosophie, en arabe) est marquée du sceau des cultures musulmanes. De ce point de vue, il y a des philosophes baignés dans la civilisation musulmane dont l’objet illustratif est l’univers musulman, comme il y a des philosophes grecs, français, algériens ou chinois. Mais au-delà de cela, les questions auxquelles sont confrontés les penseurs musulmans ne leur sont pas exclusifs.

Le livre de Diagne explique, à travers des analyses et des anecdotes significatifs, comment thèses et antithèses se déploient dans le champ musulman ; il trace aussi les points de convergences (et de divergences, cela va de soi) entre d’autres personnalités, d’autres idées situées hors de l’espace musulman, que le lecteur peu familier avec les textes en question ne songerait jamais à établir. Que Platon, Aristote, Plotin, Ciceron et bien d’autres « anciens » ont fortement nourri la pensée musulmane au Moyen-âge, que cette pensée musulmane a, à son tour, coloré la scholastique occidentale et grandement influencé toute la philosophie européenne à partir du XVIIème siècle (Leibniz, Descartes, Spinoza, Hegel…), est une certitude pour la communauté scientifique. Au point que ce n’est pas une hérésie de suggérer, comme le reconnait Marwane Rashed, dans un entretien[2], qu’en un sens, des philosophes comme Leibniz et beaucoup de néoplatoniciens occidentaux, sont peut-être à leur insu des philosophes musulmans. Pour dire que des similitudes existent entre certains philosophes musulmans et des penseurs de tradition européenne dans l’appréhension des idées de Fatalisme, Décret, de Déterminisme, de Providence, de Liberté, etc. Voilà qui pose la philosophie comme point de départ pour une analyse hors du malentendu théorique du choc des civilisations (Huntington, Caldwell) qui fait le lit de certaines idéologies exclusives. Il n’y a pas d’affrontement par la pensée entre un monde islamique et un monde occidental.

De la même manière, il convient de délivrer la pensée islamique, d’une doxa qui en fait l’illustration en tout point d’un essentialisme arabe (on le voit très tôt chez Renan, penseur par excellence du racialisme). Il y a eu beaucoup de penseurs arabes, mais tous les penseurs musulmans (et parmi les plus décisifs) ne sont pas arabes. Des lettrés perses (Avicenne, Ghazali, Al Farabi…), turcs, andalous, indiens (Iqbal, Sayyid Ameer Ali), africains (Al-Jahiz, Tierno Bocar, Amadou Bamba, Malick Sy…) ont apporté une contribution extraordinaire à une vision érudite de l’Islam. Le dernier chapitre de l’ouvrage, « La philosophie du mouvement », n’est pas seulement une dissertation sur l’Islam et la modernité ou la nécessaire ouverture de l’esprit islamique. C’est aussi le prétexte pour Diagne de révéler la puissance et l’actualité de la philosophie de l’indien Mohamed Iqbal, autre penseur de la « Diversalité » musulmane qui est pour beaucoup dans la diffusion de l’esprit musulman au XXème siècle. La conclusion du livre elle-même prolonge comme en écho la question du pluralisme en Islam. On y découvre l’apport important de Bocar Salif Tall, penseur ouest-africain émérite, révélé au monde sous le nom de Thierno Bocar, par le non moins lumineux Amadou Hampathé Bâ. Ce Thierno Bocar, s’il n’est pas philosophe au sens commun, offre dans un dialogue que propose Diagne dans son « excipit », une idée qui constitue un véritable problème philosophique pour le musulman. Comment s’ouvrir à l’Autre, partant du principe que seul Dieu a le pouvoir de juger et que son amour embrasse la création :

 

 

 

« Tierno, tu parles souvent de l’amour de Dieu qui embrasse tout. Mais Dieu aime-t-il aussi l’infidèle ? » « Oui » est (…) la réponse du maître, contre, dit-il, toutes les distinctions qui obsèdent ceux qu’il appelle « les attachés à la lettre », trahissant ainsi Celui au nom de qui ils prétendent parler et qui, Lui, est générosité envers les enfants d’Adam, « sans différencier leurs états ». Et son « oui » est bien ce qu’enseigne la philosophie : la sagesse de l’amour » (p.176)

 

 

 

 

 

 

Grâce à Bachir Diagne, un philosophe né au Sénégal, on découvre à remontant le fil de l’histoire des pensées que le corps de doctrine musulman dépasse allégrement les clivages ethniques et/ou linguistiques, voire religieux. On en revient au postulat initial que la raison n’est pas cantonale mais universellement saisissable. Et c’est exactement ce que dit Al Kindi, figure originelle de la falsafa, reconnaissant l’apport d’Aristote à la raison islamique :

 

 

 

« Aristote le plus éminent des Grecs en philosophie a dit ceci « Nous devons remercier les pères de ceux qui ont apporté une part du vrai, parce qu’ils ont été la cause de leur être, en sus de ce que nous devons à ceux-ci. En effet, ceux-là ont été la voie, et c’est par leur moyen que nous pouvons atteindre le vrai. » […] Or nous ne devons pas rougir de trouver beau le vrai, d’acquérir le vrai d’où qu’il vienne, même s’il vient de races éloignées de nous et de nations différentes. Pour qui cherche le vrai, rien ne doit passer avant le vrai, le vrai n’est pas abaissé ni amoindri par celui qui le dit ni par celui qui le porte. Nul ne déchoit du fait du vrai mais chacun en est anobli. »  (Al Kindi, Philosophie première)

 

 

 

 

 

Comment maintenir tendu le fil jamais vraiment rompu entre la pensée en terre d’islam et la pensée universelle ? Comment veiller à ne pas exclure l’humain de l’esprit musulman ?voilà le véritable sens de Comment philosopher en Islam. Il va sans dire que cela donne au livre une urgente actualité, alors le musulman apparaît comme l’incarnation d’un archaïsme réfractaire à la réflexion et à l’altérité. Bachir Diagne, un auteur qu’on peut qualifier sans dithyrambe de « véritable navette spatiale » de l’intellectualisme africain, nous entraîne à travers un texte limpide, extrêmement bien écrit, à démêler les nœuds de préjugés sur l’Islam. Il est heureux qu’il puisse restituer ainsi la profondeur de réflexions produites dans l’espace musulman depuis plusieurs siècles et rappeler à ses contemporains, musulmans ou non, les responsabilités de l’homme face à l’humanité. Le rappel, un mot mais aussi un principe. On le retrouve au cœur même de la tradition islamique comme vertu pédagogique et ancrage du salut pour les croyants (sourate 51, verset 55). Si être bon signifie rappeler que l’Islam n’est pas contradictoire à la pensée et que le destin islamique est indissociable de celui de l’humanité, alors nul doute que ce livre est bon.



[1] Jacques Lacan, « Le rapport de Rome » dans, Ecrits, Tome I, Paris, Seuil, 1966, p. 123.

 

 

[2] Marwan Rashed, « L’Islam, les Grecs et nous », entretien Aux Nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, mai 2010

 

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